Géographie linguistique
La géographie linguistique est cette branche de la dialectologie qui s’occupe de localiser les unes par rapport aux autres les variations linguistiques, au sein d’une aire linguistique déterminée et de les cartographier. En Europe, cette spécialité a pris son essor à la fin du xixe siècle et au début du xxe, avec la réalisation des grands atlas systématiques des domaines allemand (Wenker) et français (Gilliéron & Edmont). Depuis, les travaux de ce type se sont poursuivis et affinés en Europe et les atlas sont régulièrement réactualisés dans tous les grands pays. La technique de base habituellement utilisée consiste à vérifier par enquête de terrain, sur un échantillon de localisations (points d’enquête), un ensemble de formes – en général du vocabulaire et/ou des phrases typiques (grille d’enquête ou questionnaire), pour reporter ensuite les diverses réalisations sur des cartes. On fait ainsi apparaître la répartition géographique des variations et donc les frontières linguistiques. Pour un paramètre donné, la ligne de délimitation d’une réalisation particulière constitue un isoglosse. Lorsqu’on a un faisceau d’isoglosses, c’est-à-dire lorsque les limites de plusieurs paramètres se superposent ou se rapprochent significativement, on a une frontière entre parlers ou entre dialectes, selon le nombre d’isoglosses et leur importance structurale. Bien sûr, le travail de géographie linguistique peut être plus spécialisé et s’intéresser à des phénomènes linguistiques plus précis, phonétiques ou grammaticaux, qu’il s’agira là aussi de localiser et de cartographier.
On comprendra évidemment que les deux difficultés essentielles de la géographie linguistique soient celles du maillage du territoire étudié (choix des points d’enquête) et celles liées à l’élaboration des grilles d’enquêtes (choix des formes linguistiques à soumettre). De ce fait, la géographie linguistique suppose à la fois une excellente connaissance de la géographie et de l’histoire du territoire et une parfaite connaissance de la langue concernée, de ses structures et de ces points de variations potentiels.
Dans le domaine berbère, la géographie linguistique reste, pour l’essentiel, liée au nom d’André Basset, qui a eu une production importante et diversifiée dans ce domaine, avec deux œuvres majeures : Géographie linguistique de la Kabylie (1929) et Atlas linguistiques des parlers berbères (Algérie du nord) (1936/1939). Auxquels s’ajoutent une foule d’études plus ponctuelles, sur le domaine saharien et touareg, dont une partie se retrouve dans les Articles de dialectologie berbères (1959). En dehors des travaux de Basset, les recherches dans ce domaine sont rares et plus pointues (cf. Galand 1954).
L’œuvre de géographie linguistique de Basset reste donc la référence essentielle mais elle est fortement limitée par le fait qu’il n’a travaillé que le vocabulaire (champ lexical des noms d’animaux domestiques, des parties du corps), du moins pour sa partie publiée car ses archives inédites (Inalco) comportent des approches plus diversifiées. Et les résultats, sur cette base, sont rarement probants en ce sens que le lexique berbère est caractérisé par une très grande dispersion et que la répartition géographie du vocabulaire permet rarement de tracer des frontières stables (les faisceaux d’isoglosses sont exceptionnels). Les variations du lexique ne permettent donc pas d’organiser un territoire en sous-ensembles cohérents. On peut d’ailleurs penser que cette extrême dispersion du vocabulaire berbère a largement déterminé la vision d’André Basset pour qui la langue berbère « s’éparpille directement en plusieurs milliers de parlers locaux » (1952, 1959...).
Chaker, S. (1998, October 1). Géographie linguistique. Encyclopédie berbère. URL: https://doi.org/10.4000/encyclopedieberbere.1906